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Décarbonation industrielle : une vision bâtisseuse des futurs souhaitables

Par Mohammed EL KETTANI
Expert Internationnal Sustainability & Innovation

Les crises successives précipitent la chute d’un modèle industriel archaïque qui participe à l’extrême détérioration de nos environnements de vie. Cette situation préoccupante pourrait être une source de mobilisation de l’écosystème pour bâtir un cadre d’action disruptif et adapté à la décarbonation de l’ensemble des cycles productifs. En promouvant l’intelligence collective, il devient plus impactant d’opérationnaliser les dispositifs réducteurs des émissions de gaz à effet de serre de la globalité de la chaîne de valeur, sans compromettre le rôle majeur de l’industrie sur la compétitivité et la prospérité des peuples. Au cours de la dernière décennie, le Maroc a été animé par un esprit fédérateur visant à accentuer la baisse de l’impact carbone, et ce, dans la perspective d’atténuer les nombreux effets des changements climatiques. Grâce au leadership exceptionnel et à la vision éclairée du Roi Mohammed VI, le Maroc prend les devants sur la scène internationale pour défendre et soutenir une décarbonation rapide et massive de l’économie. En effet, notre pays s’est joint au concert des nations solidement impliquées dans la trajectoire de décarbonation industrielle, plus particulièrement à travers son intégration totale dans les politiques amplificatrices de la réduction des émissions de carbone instaurées par les organismes mondiaux réputés. Il est important de souligner que le basculement de l’économie marocaine dans une ère durable produit d’ores et déjà un changement radical des pratiques à tous les niveaux. En clair, il faut dire que nous sommes à un moment charnière pour assurer un avenir soutenable à notre industrie nationale. C’est d’une vraie politique de décarbonation multicible et résolue dont notre pays a réellement besoin.

Progressivement, le Royaume a su développer des capacités inégalées dans des secteurs novateurs et a enregistré des avancées notables grâce à son positionnement stratégique dans certaines industries de pointe telles que l’automobile et l’aéronautique. Dès lors, l’industrie devrait tirer parti des chamboulements écologiques profonds pour conquérir de nouvelles parts de marché. Précisément, le transport aérien fait l’objet d’un vaste chantier mondial de décarbonation initié par une alliance entre gouvernements et industriels. Il concentre des investissements colossaux de l’ordre de 1.500 milliards de dollars pour se diriger vers la neutralité carbone à l’horizon 2050. Sans conteste, le Maroc a une véritable carte à jouer dans ce programme ambitieux au vu de son expertise acquise au fil des années, sa qualité infrastructurelle et le haut niveau de ses ressources humaines. Ces éléments distinctifs confortent notre pays dans sa trajectoire pour devenir une base industrielle décarbonée de référence sur l’équichier international.

Parmi les dispositifs actionnables à même de changer les pratiques industrielles figure, notamment, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières instauré par l’Union Européenne, qui doit être appréhendé comme un levier mobilisateur en faveur d’une modification profonde des processus industriels. Dans le même temps, il est nécessaire de disposer d’un système de comptabilisation des émissions de GES robuste, transparent et vérifiable. Cet axe est porté par la Fondation Mohammed VI Pour la Protection de l’Environnement qui développe un outil de calcul du bilan carbone contextualisé et conforme aux standards internationaux. En complément de cet instrument crucial, l’Analyse cycle de vie (ACV) apporte des indicateurs intéressants concernant les impacts environnementaux des produits afin d’opérer les réglages nécessaires sur toute la chaîne de valeur industrielle. Autre progrès de taille : l’installation progressive d’un prix carbone constitue une alternative à la taxe carbone et peut jouer un rôle dans la responsabilisation des industriels en les faisant participer aux dégâts des émissions qu’ils engendrent. Dans ce sillage, la certification des crédits carbone par des organismes compétents peut faire émerger des niches prometteuses.

Certains acteurs industriels sous-estiment encore la portée des critères ESG dans leurs stratégies de croissance. Pour remédier à cela, il serait opportun d’encourager l’émergence d’entreprises à mission en instaurant des leviers stimulants et en implémentant des labels structurants tel que B-Corp. C’est véritablement ce logiciel qu’il nous faut développer : faire de la décarbonation la boussole de notre politique industrielle dans l’objectif de répercuter les gains directs et indirects sur l’ensemble de nos territoires. Néanmoins, cette vision commence à s’ancrer dans la gouvernance de quelques entreprises devant être à l’avant-garde de la responsabilité environnementale et sociale.

C’est le cas du Groupe LafargeHolcim qui mène un programme de transformation ESG global, et matérialise continuellement ses engagements par l’adoption des plus hauts standards et l’adhésion aux organisations influentes et mondialement reconnues. L’opérateur énergétique Taqa Morocco adopte, lui aussi, une approche holistique de l’ESG qui se reflète par la définition d’une matrice de matérialité novatrice et l’alignement sur le cadre de référence pour le Reporting intégré de l’International integrated reporting council (IIRC).

Dans la perspective de se conformer à ce nouveau défi de manière évaluable, la Bourse de Casablanca a lancé le nouvel indice Masi.ESG mesurant les performances des entreprises socialement responsables. Longtemps considéré comme le maillon faible de la politique de décarbonation industrielle, le volet financier est davantage structuré par les institutions nationales et internationales qui construisent des lignes de financement vert impactantes. Dans la continuité du cadre réglementaire fixé par l’Autorité marocaine des marchés financiers (AMMC) avec l’appui de l’International financial corporation (IFC), les obligations vertes sont encore plus régulées et dynamisées sur le marché marocain.

Concrètement, les programmes Green value chain (GVC) et Green economy financial facility, dotés d’importantes ressources financières, sont mis à la disposition des entreprises industrielles souhaitant assurer leur transition vers des systèmes décarbonés et pérennes. Dans un même mouvement, les banques marocaines, à l’instar de la Banque Centrale Populaire, qui a déployé l’offre d’accompagnement BP Green invest, se positionnent sur ce segment pour supporter les industriels dans leur plans d’adaptation en finançant des programmes de croissance des GreenTech ou de développement des énergies renouvelables. D’autre part, la Blended finance connait un grand engouement en raison de sa souplesse qui favorise l’atténuation et le partage des risques liés aux projets de lutte contre le réchauffement climatique, en associant dans le montage financier des fonds publics conventionnels et des investisseurs privés.

Pour rendre nos usines carboneutres, il va falloir les connecter aux énergies renouvelables et explorer une myriade d’offres intégrées proposées par les énergéticiens implantés sur l’ensemble du territoire. Cette recherche permanente de l’excellence environnementale est en mesure de soulager les industriels dans la concrétisation de leurs stratégies de décarbonation. À titre d’exemple, Schneider Electric, le spécialiste mondial de l’énergie, mise sur la digitalisation du pilotage énergétique sous la bannière de l’électricité 4.0. D’autres acteurs de la transition écologique comme l’opérateur international Engie, montent des solutions en accord avec l’objectif zéro émission nette, à travers la dépollution des procédés industriels, la décentralisation de l’énergie et l’activation d’une économie circulaire à l’échelle territoriale.

En parallèle, les partenariats mondiaux sont d’une grande utilité pour la décarbonation de l’industrie marocaine. Sur la base de ce principe fondamental, les ministères de l’Industrie et du Développement durable ont signé une convention avec l’ONUDI visant à approfondir la coopération technique en matière de renforcement de la décarbonation industrielle, notamment sur le plan d’incorporation de l’hydrogène vert et d’accélération de l’économie circulaire, conformément à la mise en œuvre de l’accord de Kigali.

En outre, avec le support de l’Agence américaine MCA Morocco, le ministère marocain de l’Industrie a lancé le Fonds des zones industrielles durables (FONZID) doté d’une enveloppe budgétaire de plusieurs millions de dollars, et qui a vocation à appuyer techniquement et financièrement les porteurs de projets industriels respectant une haute qualité environnementale.

Sur un autre plan, le gouvernement a bâti un partenariat vert avec la commission européenne portant sur la collaboration autour de la sécurité énergétique et du défi climatique. S’agissant de l’échelle territoriale, l’Agence marocaine de l’efficacité énergétique, le PNUD ainsi que l’Agence coréenne de coopération Internationale (KOICA) ont scellé un accord tripartite qui permettra de renforcer les capacités des autorités locales en matière d’efficacité énergétique et d’industrie durable pour préparer les acteurs locaux aux mises en action.

À l’évidence, la dynamique de ces coalitions internationales autour de projets d’envergure implique la construction de nouveaux instruments institutionnels, qui activeront le multilatéralisme d’une autre époque car les institutions du siècle précédent ne sont plus adaptées pour traiter les grands enjeux sociétaux et environnementaux auxquels nous faisons face. Pleinement investi dans cette nouvelle configuration, le Maroc se montre brillant et plein d’inventivité pour porter de grandes initiatives transformatrices et jouer le rôle de locomotive africaine.

Sur le plan institutionnel, le ministère de la Transition énergétique et du développement durable a rehaussé ses ambitions de décarbonation de l’économie en concevant une nouvelle Stratégie nationale de développement durable à l’horizon 2030, inspirée largement du Nouveau modèle de développement, et qui agglomère les bases structurantes et opérationnelles pouvant stimuler une croissance plus durable et inclusive. Par ailleurs, le Plan national du climat englobe un cadre de gouvernance en phase avec les exigences d’atténuation et d’adaptation des secteurs stratégiques.

Particulièrement dans le secteur industriel, il est question d’accompagner les acteurs vers des systèmes de production soutenables. Il est important de souligner que la baisse de l’intensité carbone constatée à l’échelle du pays devrait inciter les industriels à identifier de nouveaux champs d’application et à accélérer le passage à une industrie plus sobre.

Toutefois, le succès des réformes dépend de la capacité des parties prenantes à briser les silos et à agir de manière plus coordonnée. Sous les auspices du ministère de l’Industrie, plusieurs programmes de décarbonation ont vu le jour comme Tatwir croissance verte à destination des PME. Aussi, la politique d’alimentation des zones industrielles par de l’énergie propre et compétitive commence à porter ses fruits et entre dans une phase d’accélération. Il est réjouissant que le focus soit mis sur le développement de nouvelles filières industrielles moins énergivores, ainsi que sur l’accompagnement personnalisé de certains secteurs suscitant un intérêt particulier et identifiés comme source de progrès à l’image du Power-To-X, l’économie circulaire, le dessalement de l’eau de mer, la logistique et les Smart cities.

D’un autre côté, les financements internationaux sont indispensables pour créer de la valeur ajoutée et relancer la machine industrielle. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à toute maîtrise de la nature des investissements. En définitive, tout en affirmant l’ambition du Maroc de devenir un concentrateur d’investissements industriels bas carbone, la stratégie d’attractivité menée par le ministère en la matière ne doit pas s’accomplir aux dépens de la souveraineté industrielle. Assurément, la réussite des actions engagées nécessite la création d’un secrétariat d’État à la décarbonation industrielle afin d’harmoniser les prises de décision et d’aboutir à une forme d’efficience gouvernementale.

En même temps, les décideurs politiques et la haute administration devraient suivre des parcours de formation ciblés pour être plus sensibilisés aux enjeux écologiques en vue d’inclure cette dimension dans les politiques publiques relatives à la transformation de nos industries. En somme, les efforts consentis par toutes les parties prenantes placent le Maroc dans l’espace très sélectif des nations ayant fait le choix stratégique d’un développement soutenable.

En effet, notre pays jouit d’une position singulière sur la cartographie mondiale de la décarbonation industrielle. Désormais, l’élimination des énergies fossiles et l’investissement dans les nouvelles technologies décarbonées font l’objet d’un consensus universel.

De fait, les adaptations cruciales ne peuvent plus passer au second plan et doivent profiter de ce momentum favorable pour métamorphoser nos modes productifs et contribuer ainsi à des futurs souhaitables répondant aux défis climatiques majeurs.