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Crise financière, pandémie, guerre, changement climatique… Les chocs sont des moments de prise de conscience des enjeux de la résilience et de la compétitivité économique.

Dans ce double entretien François Marchal, Directeur Général de Société Générale Maroc et Antoine Sallé de Chou, le Directeur de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) nous rapprochent du défi pour l’économie marocaine, que constitue l’amélioration de la compétitivité des chaines de valeur à travers les investissements verts.

L’occasion également de faire le point sur le programme Green Value Chain de la BERD implémenté par Société Générale Maroc auprès du secteur privé pour renforcer sa résilience et sa compétitivité.

EcoActu.ma : Avant même la circulaire de BAM date du 5 mars 2021, le dispositif d’évaluation des risques environnementaux et sociaux était déployé chez Société Générale Maroc, dont le groupe d’appartenance a adopté les Principes de l’Equateur dès 2007 et lancé l’offre Green Trade Finance en 2020. Cela vous a-t-il permis d’avoir une longueur d’avance sur le reste du secteur bancaire en la matière ?

François Marchal, Directeur Général Société Générale Maroc : En la matière, bien que nous n’ayons pas connaissance des programmes mis en place chez nos confrères, il apparait clairement que l’intégration des risques environnementaux et sociaux, au cours des opérations d’analyse et d’accompagnement de nos clients, s’avère un précieux atout pour une meilleure appréhension des impacts potentiels, tout en inscrivant nos actions dans une perspective plus pérenne.

Car nous avons pleinement conscience, au sein de Société Générale Maroc, que la poursuite de certains objectifs court-termistes peut s’avérer contre-productif pour la banque ainsi que pour le pays, mais aussi paradoxalement pour le client. Alors que l’intégration des risques environnementaux et sociaux favorise l’émergence d’un dialogue plus approfondi avec nos clients, en s’inscrivant dans la durée, ce qui donne une consistance plus solide à la notion de partenariat à long terme qui doit unir un client et son banquier.

Quelle évaluation faites-vous à ce jour depuis le lancement de la ligne de crédit Green Value
Chain en partenariat avec la BERD ? Avez-vous constaté une véritable appétence pour ce type de produits ? Peut-être est-ce ce qui explique la signature d’une nouvelle ligne de crédit en février de cette année ?

Le dispositif Green Value Chain a pleinement atteint ses objectifs en jouant un véritable rôle de catalyseur d’investissements. Dès les prémices de ce partenariat avec la BERD, notre objectif ultime était de concrétiser l’effort de sensibilisation environnementale déployé par différents acteurs – du Ministère de l’Industrie aux investisseurs financiers en passant par la CGEM et ses fédérations, en des projets pérennes à même de renforcer la compétitivité de l’économie marocaine et sa durabilité.

L’attractivité de cette offre, destinée aux PME s’inscrivant dans les chaînes de valeur mondiales, repose en grande partie sur la qualité de l’assistance technique prodiguée par la BERD et son cadrage précis des projets, associée à la subvention allouée par l’Union Européenne et à la participation du Fonds Vert pour le Climat.

Ce dispositif novateur et inclusif a été en mesure de convaincre aussi bien clients que prospects, afin d’investir dans des dispositifs d’optimisation de leur production avec un impact environnemental positif.

Ce qui se traduit par des mécanismes d’économie d’énergie, mais aussi par une transition progressive vers les énergies renouvelables. L’implémentation de ce dispositif par les PME renforce leur compétitivité et améliore ainsi leur aptitude à accéder aux grands marchés mondiaux, qui se montrent de plus en plus rigoureux en matière d’exigences environnementales.

Sur cette base nous avons élaboré, avec nos partenaires de la BERD, le déploiement d’un nouveau dispositif GEFF (Green Economy Financing Facility) qui reprend les mêmes principes de GVC- prodiguant assistance technique et subvention, tout en élargissant son spectre d’intervention dans la perspective d’accompagner davantage de nos clients dans leur transition énergétique. Porté par l’expertise de nos équipes, ce dispositif d’accompagnement est désormais disponible et pleinement opérationnel.

Le plaidoyer en faveur des financements verts confère à la banque un rôle qui n’est pas
forcément le sien. Comment vous sensibilisez et marquetez ces produits ?

Permettez-moi d’être d’un avis différent, car j’estime que les banques ont a contrario un rôle-clé à jouer dans la mobilisation de l’ensemble des acteurs ainsi que dans la coordination des actions et programmes, en convergence avec les objectifs de décarbonation fixés par les accords de Paris et la COP26.

Il s’agit à la fois d’un enjeu citoyen et planétaire, qui répond également à la nécessité d’aligner les intérêts de la banque et ceux de nos clients, que nous finançons sur des durées pouvant dépasser une dizaine d’années.

Car pour demeurer compétitifs dans 10 ans, nos clients doivent se préparer à faire face aux risques inhérents aux changements climatiques, en étant en mesure de surmonter les contraintes et de tirer profit des opportunités générées par les trajectoires de décarbonation.

Ainsi, la mission de nos équipes est de faire bénéficier les entreprises de ces dispositifs d’accompagnement innovants, en s’appuyant sur un discours et une logique qui interpellent nos clients quant à la nécessité de pérenniser leur performance, en s’inscrivant dans une dynamique à même de préserver et améliorer leur capacité à concrétiser durablement des opportunités commerciales.

Comment concilier entre impératif commercial et la prise en compte des critères ESG aussi bien en matière de financements que de gestion d’actifs ?

C’est un arbitrage subtil auquel toute entreprise est confrontée, et qui consiste à trouver un équilibre entre court et long terme. C’est donc avant tout une question de rythme, pour inciter nos clients à progresser sans nous couper du marché. C’est pourquoi notre ambition, à Société Générale Maroc, est d’asseoir notre leadership sur les deux volets. D’abord en alignant nos portefeuilles sur les trajectoires d’émissions sur lesquelles les Etats se sont engagés, en proposant des solutions de financement à nos clients pour accélérer leur transition énergétique ou développer des dispositifs décarbonés.

D’autre part, notre objectif est de favoriser l’investissement responsable pour assurer la durabilité de la performance que nous proposons aux investisseurs, et contribuer ainsi à orienter l’épargne vers les besoins énormes induits par la transition énergétique. A ce titre nous sommes fiers que notre filiale, Sogecapital Gestion, soit la première société de gestion au Maroc à avoir signé les Principes de l’Investissement Responsable de l’ONU (UNPRI United Nations Principles for Responsible Investment).

Ecoactu.ma : Dans le même ordre d’idées, la BERD a orienté son action au Maroc en associant le secteur bancaire pour accompagner les entreprises à investir dans les technologies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Une idée sur la genèse de cette démarche ?

Antoine Sallé de Chou, Directeur de la BERD
Maroc : Les banques de développement doivent jouer un rôle de catalyseur du financement si l’on veut atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Le climat, avec l’inclusion et le numérique, constitue la plus importante de nos trois grandes priorités stratégiques.

La BERD est aujourd’hui un leader de la finance climatique et vise désormais à devenir une banque majoritairement verte d’ici 2025.

À ce jour, nous avons signé 36 milliards d’euros d’investissements verts et financé plus de 2 000 projets verts dans nos pays d’opération, qui devraient réduire de 104 millions de tonnes d’émissions de carbone par an.

Naturellement, nous avons décliné cette priorité dans nos opérations au Maroc, un pays qui s’est fixé parmi les objectifs les plus ambitieux de tous nos pays d’opération en termes de climat et que nous souhaitons vivement accompagner. A cet égard, nous avons déployé près de EUR 7oo millions d’euros de financement verts au Maroc, qui ont permis depuis 2014 une réduction de 760 o00 tonnes d’équivalent de CO2.

Nous travaillons via le secteur bancaire, à l’instar des lignes GEFF que nous venons de lancer avec 5 banques partenaires pour une enveloppe de 163 millions d’euros pour financer
des projets d’efficacité énergétique, d’énergie renouvelable à petite échelle et de gestion de déchets et de l’eau.

Nous travaillons également directement avec les entreprises, par exemple notre financement le mois dernier de 110 millions de dirhams pour Dolidol pour une unité de recyclage de bouteilles en plastique, qui va permettre à l’entreprise de réduire de 11,000 tonnes par an ses émissions de CO2.

Nous souhaitons également accompagner la montée en puissance des énergies renouvelables, à travers nos financements de grands projets éolien, solaire et demain d’hydrogène vert, et aider à décarboner l’infrastructure, notamment à travers notre programme Ville Verte, que nous souhaitons déployer au Maroc.

En général, et surtout en période de crise, les entreprises sont confrontées à d’autres problématiques. La crise n’est-elle pas de nature à ralentir ce marché forcé vers la décarbonation ?

Les crises successives, en particulier la pandémie COVID et aujourd’hui les conséquences de la guerre en Ukraine peuvent en effet dévier l’attention et les efforts déjà consentis internationalement et localement pour progresser vers les engagements climatiques liés aux Accords de Paris.

Malgré tout, le besoin de mobiliser États et acteurs locaux pour agir en faveur du climat n’a jamais été aussi important, et la sècheresse exceptionnelle de cette année en est le cruel rappel.

Au Maroc en particulier, il ne s’agit pas seulement d’un sujet enjeu environnemental global, c’est avant tout une question de compétitivité pour le Maroc, avec des prix de l’électricité encore 20% supérieur à ses concurrents, une intensité énergétique deux fois supérieure à la moyenne européenne et demain une taxe carbone qui va être imposée aux frontières de son premier marché d’exportation.

Quel est le rôle consenti au Fonds Vert pour le climat (GCF) et l’Union européenne ?

Convaincu de l’intérêt d’un effort collectif pour la transition écologique, La BERD a tissé des
partenariats stratégiques avec différents acteurs tels que le l’Union Européenne et le Fonds Vert pour le Climat. Dans le cadre de nos lignes vertes, L’Union Européenne s’investit par l’intermédiaire de dons dédiés à l’assistance technique et aux subventions. Le Fond Vert pour le Climat participe quant à lui aux co-financements et à l’assistance technique via des dons.

Au Maroc, ces partenariats ont permis à la BERD (i) de financer 38 projets verts pour un montant global de 660 M€ et (i) de mobiliser un montant de 169 M€ provenant du Fonds Vert pour le Climat et de l’UE.

Comment se décline la composante d’assistance technique ? Et quelle est la part de la subvention à l’investissement et sur quelle base est-elle octroyée ?

Ce type de financement va au-delà du simple crédit en tant que tel puisqu’il combine financement, conseils et assistance technique qui sont souvent mis en œuvre parallèlement aux incitations financières telles que des subventions.

Véritable atout, l’assistance technique permet notamment à travers un soutien transversal (i) de développer, mettre en œuvre et adapter au marché local les aides techniques de la BERD, (i) de soutenir les partenaires locaux avec l’identification de potentiels projets ainsi que la mise en œuvre d’outil marketing permettant le développement commercial, (ini) de développer des compétences techniques complexes par l’intermédiaire de formations et d’actions de sensibilisation, et (iv) de vérifier la bonne mise en œuvre des projets et le bon respect de l’exécution technique.

Grâce au soutien de l’UE, ce financement permet, à l’emprunteur final, de bénéficier d’une rétrocession d’une partie du financement par l’intermédiaire d’une subvention de 10% à 15% (hors TVA) calculé sur la base de critères d’éligibilité bien précis.

Quels sont les objectifs ou les indicateurs que vous vous-êtes fixés avec la ligne de crédit Green Value Chain ?

Les objectifs du programme Green Value Chain se concentre principalement sur l’amélioration de la compétitivité des chaines de valeur ciblés à travers des investissements verts. La BERD accompagne ainsi le secteur privé marocains dans la transition vers une économie plus verte tout en renforçant sa résilience et sa compétitivité.

Les indicateurs privilégiés par la Banque sont la réduction (i) à terme des émissions CO2 (40,600 tonnes/an), et (ii) de la consommation énergétique par l’intermédiaire d’une plus grande efficacité ou d’une production renouvelable (488,000 GJ/an).

En 2021, les financements verts ont dominé les investissements réalisés par la BERD au
Maroc. Cette tendance va-t-elle se renforcer en 2022, malgré les effets de la crise qui favorisent le recours aux facilités de trésorerie ?

La BERD place l’économie verte au cœur de ses priorités. En 2021, 50% des investissements de la BERD intégraient une composante verte (comparé à 46% en 2019), dépassant ainsi l’ambition de la Banque d’atteindre ce niveau de 50% en 2025.

Ainsi, et ce malgré les crises successives la BERD a réussi à engager et accompagner le secteur privé marocain dans une transition vers une économie plus verte.

Forte de cette réussite, la BERD ambitionne de s’engager davantage auprès de ses partenaires au Maroc dans le but d’accroitre ses investissements verts. Cette ambition est d’autant plus renforcée par la volonté de la Banque d’accompagner le secteur privé en mettant à disposition des entreprises marocaines, une nouvelle ligne GEFF d’un montant global de 163 ME avec le soutien de nos partenaires, l’UE et le Fonds Vert pour le Climat.