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Stratégie Bas Carbone 2050 : La recette du Maroc pour un verdissement profond de son industrie

Le Maroc est déterminé à tracer la voie pour enclencher un verdissement substantiel de son industrie. Dans sa stratégie Bas Carbone 2050, le pays explore les différentes voies devant mener à un seul objectif : un écosystème industriel national durable, compétitif à l’échelle locale et internationale et porteur d’innovations. Ainsi, toutes les actions à prévoir afin d’opérer cette transition devront graviter autour de deux pôles vitaux, voire déterminants, à savoir la technologie et la R&D. Efficacité énergétique, verdissement de la commande publique, fiscalité verte, capitalisation sur des expériences à succès comme le programme MorSEFF… Topo des bonnes pistes pour un décollage industriel vers le vert.

C’est inéluctable. Un «Salut vert» dans l’industrie nationale viendra de la technologie et la R&D. C’est d’ailleurs l’une des recommandations clés de la Stratégie Bas Carbone 2050 soumise fin 2021 par le Maroc aux Nations unies. La feuille de route préconise, en effet, l’établissement d’une stratégie technologique et R&D pour l’industrie. Ce plan devra être adapté à la réalité industrielle et de l’innovation-recherche au Maroc et décliné en fonction des spécificités de chaque sous-secteur. Concrètement, cette stratégie devra introduire les technologies propres et les bonnes pratiques à tous les échelons des processus de production industriels : matière première, produit fini, collecte et valorisation des produits usagés. Cette politique de R&D doit être focalisée sur la phase de pré-industrialisation et aussi proche que possible du terrain et des préoccupations des entreprises.

À l’instar du modèle allemand, la R&D pourrait ainsi être pilotée par les industriels eux-mêmes, grands groupes, PME ou startups. Autre levier, le verdissement de la commande publique qui, selon la feuille de route Bas Carbone, pourra jouer un rôle «crucial et exemplaire» dans l’accompagnement de l’industrie en promouvant la R&D et en créant une demande marocaine pérenne, en particulier pour les PME. De même, la mise en place d’une fiscalité favorable à la transition basée sur l’instauration d’une fiscalité et d’outils incitatifs permettrait aux industriels d’orienter leurs investissements et aux consommateurs marocains d’ajuster leurs préférences et leur volonté à payer pour des produits décarbonés. La stratégie Bas Carbone suggère, par ailleurs, d’autres pistes pour le verdissement de l’industrie nationale. Concrètement, elle recommande de caractériser finement les usages énergétiques de l’industrie en distinguant les différents secteurs et évaluer le potentiel de décarbonation de chacun en fonction d’hypothèses techno-économiques sur les différentes solutions envisageables : efficacité énergétique, substitution des combustibles fossiles, réductions à la source par des solutions d’économie circulaire, modernisation des processus, optimisation et intégration des flux matière et énergie au sein d’écoparcs circulaires, etc.

Sur cette base, il sera question d’établir des scénarios et des objectifs chiffrés de décarbonation pour chacune des grandes branches et secteurs industriels en étroite collaboration avec les entreprises et ministères concernés. Ces derniers devront donc, in fine, valider hypothèses et scénarios. La feuille de route juge tout aussi opportun de mettre en place une planification indicative de la décarbonation de l’industrie comprenant les scénarios et objectifs chiffrés aux horizons 2030, 2040 et 2050 par branche d’activité et par type de solution (efficacité énergétique, électrification des usages, réduction des émissions de process, etc.).

Une fiscalité verte pour encourager la transition

Sur le plan fiscal, l’enjeu consisterait à identifier et proposer la mise en place d’une fiscalité et d’incitations favorables aux investissements des entreprises dans les outils et technologies permettant une décarbonation poussée. Exemples : écotaxes, marché et prix du CO2, subventions ciblées à l’investissement et bien sûr la R&D. Les décideurs ne doivent, toutefois, pas perdre de vue les opportunités et les risques de la transition énergétique pour la compétitivité coût et hors-coût du Maroc. Une évaluation spécifique à cette problématique est à prévoir. Il s’agit également d’identifier les principaux indicateurs de suivi-évaluation de la décarbonation du secteur de l’industrie à travers l’installation d’un système d’information adéquat.

Aller au-delà du mix électrique

La Stratégie Bas Carbone estime que la décarbonation avancée du secteur électrique et le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables offrent un environnement favorable à la décarbonation des activités industrielles. Une décarbonation profonde du mix électrique d’ici 2040 et 2050 à hauteur de 70 ou 80% est, certes, une première étape essentielle et tout à fait envisageable. Toutefois, nuance la feuille de route, une réduction importante des émissions industrielles nécessite d’aller au-delà du verdissement du mix électrique et implique de recourir à un éventail de mesures. Celles-ci incluront notamment l’efficacité énergétique, l’électricité décarbonée, l’électrification accrue des usages, les substitutions énergétiques, la réduction des matériaux à la source, la réutilisation et le recyclage des matériaux et la digitalisation des technologies et méthodes industrielles (automatisation et digitalisation des procédés, internet des objets, communication machine to machine, etc.). Si certaines de ces technologies sont disponibles, matures et viables économiquement, ce n’est pas le cas pour d’autres et certaines applications nécessiteront, selon la Stratégie, des avancées supplémentaires voire des ruptures technologiques. Rappelons que le chantier de décarbonation de l’industrie marocaine est aujourd’hui porté par l’Agence marocaine de l’efficacité énergétique.

Capitaliser sur le programme MorSEFF

La capacité à mobiliser efficacement l’ensemble des industriels et des parties prenantes sur les aspects fondamentaux de la transition énergétique et d’une réduction massive des émissions de GES reste à démontrer (efficacité énergétique, gestion des déchets, adoption des bonnes pratiques environnementales, mutualisation des efforts, etc.). Selon la feuille de route, les résultats dans le domaine de l’efficacité énergétique dans l’industrie et les autres secteurs ne sont pas à la hauteur des attentes et le potentiel de l’efficacité énergétique reste à concrétiser. Motifs : multiplicité des acteurs, subventions résiduelles pour certains produits pétroliers (butane), complexité du financement de projets d’efficacité et petite taille des projets et leur faible visibilité par rapport aux projets d’énergie.

D’où la nécessité, selon la Stratégie Bas Carbone, d’accélérer les efforts d’efficacité énergétique dans l’industrie en capitalisant sur le succès de programmes à l’instar de MorSEFF qui, pour rappel, est une ligne de financement de l’énergie durable destinée aux entreprises privées marocaines, soutenue par l’Union européenne et développée par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), en coopération avec la Banque européenne d’investissement (BEI), l’Agence française de développement (AFD) et la banque allemande de développement, KfW. Aux yeux des auteurs de la feuille de route Bas Carbone, la transition de l’industrie ne pourra s’opérer que si elle est clairement orientée par les pouvoirs publics et poussée grâce à un système intégrant incitations, contrôles et sanctions. D’autres fonds sont déjà en préparation aussi bien au niveau international (la ligne de crédit Green Value Chain et plus récemment la Green Economy Financial Facility) qu’au niveau national avec l’AMEE.

La stratégie juge par ailleurs utile de commencer par les grands industriels, à la fois les plus émetteurs et les plus aptes et les mieux équipés afin d’opérer la transition, puis d’étendre l’approche aux entreprises de plus petite taille. Les efforts doivent être focalisés sur le déploiement de solutions favorisant les gains de productivité et la maîtrise de la facture énergétique de manière à emporter rapidement l’adhésion des entrepreneurs. Une contrainte forte réside, toutefois, dans la réticence des industriels à partager des informations et des données, par ailleurs essentielles à la mise en œuvre de la transition. Il y a donc besoin de changer les mentalités sur ce point et d’établir un climat de confiance, recommande vivement la feuille de route.

Un accompagnement technique sur mesure pour les projets innovants

La décarbonation de l’industrie nécessite d’identifier et de faire levier sur l’ensemble des synergies et des flux «matière» et «énergie» au sein des différents écosystèmes industriels, en particulier à l’échelle locale au sein de zones industrielles vertes ou écoparcs circulaires. Cela supposera, selon la feuille de route Bas Carbone, une analyse et une cartographie «très fine» des interconnexions entre secteurs et entre entreprises pour tenir compte de leurs spécificités techniques, de leurs complémentarités et besoins, mais aussi de leur potentiel en termes d’emplois et de réduction des GES. La stratégie recommande ainsi un accompagnement technique sur mesure des entreprises et des porteurs de projets innovants. Cet appui devra se matérialiser par de l’assistance technique et du conseil, de la formation et la mise en place de mécanismes de financement appropriés. Les personnels devront être formés et sensibilisés pour travailler sur l’efficacité énergétique, la mise en place d’équipements performants, l’établissement de bilans carbones, l’optimisation et la digitalisation des procédés. Des référents «transition énergétique» pourraient ainsi être nommés au sein des entreprises industrielles de moyenne ou grande taille.

30% des émissions de CO2 “énergie” concentrées dans l’industrie

L’industrie marocaine représente 30% des émissions de CO2 «énergie» dont 50% d’émissions directes issues de la combustion d’énergies fossiles et 50% d’émissions indirectes liées principalement aux usages de l’électricité. La décarbonation profonde de l’industrie passe donc en grande partie par celle du secteur électrique. À ces émissions «énergie», il faut ajouter les émissions de GES issues des processus industriels et de l’utilisation des produits qui représentent la moitié des émissions totales de GES de l’industrie nationale. Ces dernières sont à peu près stables depuis 2010 et ont tendance à augmenter moins vite que celles de secteurs comme le bâtiment ou le transport. Parmi les secteurs industriels fortement émetteurs de GES, on peut citer les ciments et phosphates qui représentent à eux seuls plus des trois quarts des émissions totales de l’industrie marocaine. Le reste provient de sources plus diffuses (BTP, industries agro-alimentaires, textiles et cuir, papier, biens d’équipement, extraction minière, etc.) utilisant surtout des combustibles fossiles (fioul, diesel, GPL, gaz naturel). On peut donc parler de situation duale entre des industries grandes consommatrices d’énergie (IGCE) et celles légères consommatrices d’énergie (ILCE). Les IGCE sont très émettrices des GES et le coût de l’énergie est un facteur clé de leur compétitivité. Pour les ILCE dont les procédés sont moins intensifs en GES, la facture énergétique est un facteur important, mais non déterminant de leur compétitivité-coût.